Le premier livre d'Ossip Mandelstam s'intitule "La Pierre". Mandelstam jeune était constructiviste. Enfin, il ne se réclamait pas d'un courant qui n'existait pas (il était acméiste) mais il voulait un poème bâti. Il avait étudié l'architecture et entendait que le poème soit d'une charpente aussi solide que le bâti d'une maison.
Plus tard, Staline a égorgé sa faune littéraire. Par pur plaisir sadique, il faut le dire : Staline était infiniment plus lettré qu'on ne le croit généralement et il savait parfaitement ce qu'il faisait quand il a nommé, pour prendre un autre cas, Andrei Platonov, balayeur de la Société des écrivains soviétiques. Mandelstam, lui, a cessé d'écrire : il a commencé à composer ses poèmes "à la voix", c'est-à-dire en les apprenant par coeur, ne les posant sur le papier qu'une fois terminé. Un certain nombre de poèmes ont d'ailleurs survécu à leur auteur par la grâce de son épouse, Nadejda Mandelstam.
Ossip Mandelstam a été liquidé par le NKVD. On sait aujourd'hui qu'il a récité devant ses tortionnaires sa terrible satire versifiée, l'Ode à Staline.
Ceci pour dire qu'un poème n'est jamais ni purement forme, ni purement vécu. Et qu'il est parfois utile d'y jeter un regard technique, sans prétendre à l'expliquer exhaustivement mais parce qu'une certaine technicité est bien nécessaire pour voir, pour comprendre, pour lire. Mandelstam jusque dans ses dernières heures a prétendu à une technicité hors pair. Varlam Chalamov, dans le goulag le plus désespéré du fin fond de la Sibérie (la Kolyme), réfléchissait à des questions formelles. Ces hommes n'étaient pas fous
Peut-être qu'il y a dans ces questions formelles quelque chose d'infiniment humain. Le poème est l'attention à tout ce qu'il y a de petit, de faible, d'infime. La poésie se moque du pouvoir politique : elle le dépasse. Elle est infiniment plus politique que le politique. Elle est la vie de la cité car elle traverse son langage et toutes les strates de son langage. C'est le pourquoi de ce nouveau forum.
Quant à l'analyse textuelle, qu'elle ne soit d'aucun dogme. Sous ce titre barbare, je veux simplement dire : l'expérience de la lecture est la première pierre de l'écriture poétique. On apprend à écrire, on sait écrire. On n'a jamais fini d'apprendre à lire.
Je vous propose de balbutier avec moi, vous savez que je pars pour ainsi dire de rien. Je voudrais remercier Tim pour sa main tendue, pour sa proposition et pour la possibilité qu'il me donne d'ouvrir ce nouveau salon dans un forum devenu tentaculaire.
Serioscal Agravé.
La Pierre
Started by serioscal, Sep 09 2006 02:56 PM
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