La Gloire De Ma Mère
#1
Posted 19 June 2006 - 07:47 PM
Tous les choristes sont debout. Elle est assise. C’est pas marrant. Et c’est pas exprès. C’est juste comme ça.
Alors on est là, dans cette église limite trop dorée… à se dire… je pourrais pas venir tous les dimanches dans cette église, ça me fatiguerait. Ma sœur et moi, on se dit ça. Ca fait longtemps que je l’ai pas vue, ma sœur. Là, c’est l’occasion…
On a de la chance de connaître une des choristes, on peut assister à la mise en place et à la répétition de dernière minute. Ma sœur ne détache pas son regard des timbales et moi… les yeux fermés, j’extrais le son du cor de la cacophonie orchestrale pour n’écouter que lui. Les sons partent en diaspora généralisée.
Le premier violon se la pète, évidemment, il fait mine de même pas avoir besoin de s’accorder… les violoncelles ne sont pas au complet, a coup sûr, y’a eu un « accident de voyageur » dans le métro, ils sont bloqués.
Le chef arrive. Tiens… je me dis… il est jeune ! Ma sœur, qui lisait le programme… glisse sur la chaise à côté de moi et me dit : tu trouves pas qu’il est un peu jeune, ce chef ? Non, non, je lui dis.
Répétition. Une soprano, un baryton. Et vlan.
Il est pas content, le chef… il trouve qu’y a du décalage. Le chœur ! Le chœur, vous êtes loin derrière l’orchestre, n’oubliez pas… n’essayez pas d’entendre l’orchestre pour connaître le tempo, regardez moi ! Le son est décalé ! On reprend… tout le monde, s’il vous plaît… mesure 8.
Et nous on se dit… oula… on la regarde… elle, elle s’en fout, elle est là, sur sa chaise, hyper concentrée sur sa partition. C’est que cette œuvre lui tient à cœur.
Bon, bref… la répétition se passe, le chef et le premier violon se font quinze mille clins d’œil, les violoncelles arrivent à la bourre… et la soliste, hyper stressée, n’arrête pas de faire le clown. Un grand moment de grâce, quoi.
Papa arrive. Putain… on a été bloqués vingt minutes dans le RER… fait chier, j’ai couru, il dit. Il aime pas les imprévus. Il est ingénieur. Mais ça n’a pas de rapport. D’un coup, il l’aperçoit… là, assise dans le chœur. Il lui fait un petit coucou. Elle lui répond, mais sans hystérie, hein… elle reste quand même concentrée sur sa partoche.
La scène se vide. La salle se remplit.
Le chœur de cent personnes arrive en rang (faudrait pas mélanger les alti et les ténors). Puis l’orchestre. Puis… le chef. Clap clap, clap généralisé.
Le hautbois dit lâââââââ… et tous les instruments se mettent à dire : lââââââ…
Le chef prend une espèce de posture hyper convenue… genre… j’me concentre complètement, je vais entrer en transe… ma sœur me chuchote : y s’l’a pète un peu, là, non ? Non, non, je lui dis… bref.
Chacun prend sa respiration et …
(………………………………….. )
Le public se lève comme un seul homme. Le torse bombé, les choristes se congratulent. L’orchestre, calme, semble ne pas réaliser ce qu’il vient de faire… c’est vrai quoi, ils l’ont joué tous les jours depuis des mois…
Le chef d’orchestre fait quelques mimiques pour exprimer avec orgueil son perfectionnisme génial : on petit froncement de sourcils aux cors, un couci-couça de la main aux trombonnes… enfin y s’la pète, quoi.
Ma sœur se penche vers nous, essaye de se faire entendre au milieu de l’ovation : y’a pas… ce requiem est une œuvre magnifique ! Oui ! Oui, oui, on dit…
Le temps se fige comme ça une dizaine de minutes. Un espèce de bruit qu’on fait tous avec nos mains pour réussir à s’éveiller du truc fou qui vient de se passer. Je pense même pas à la regarder… je suis dans les vaps… comme après deux heures de lecture de Dostoïevski, complètement à l’ouest (ce qui, entre nous soit dit, pour un écrivain slave, est assez paradoxal).
Le chef congratule le premier violon. Ca nous fait rigoler parce que dans le requiem de Brahms… le premier violon ne fait rien de particulier. Genre… rien de chez rien. Mais bon… il faut toujours congratuler le premier violon. On applaudit le baryton au vibrato chevrotant, on écoute les commentaires du rang devant et du rang derrière… des fois qu’ils diraient du mal d’elle parce qu’elle est assise alors que le reste du chœur est debout… on se balance des :
T’as aimé ? Le deuxième mouvement était vraiment très rapide ! Ou des… hein qu’elle a bien chanté ?
Et là…
Le chef désigne de sa main soutenue par un geste large de son bras, le chœur. Je ne fais pas attention… et j’entends papa qui dit (voire qui crie) : regarde, maman est debout !
Consciente, je prends ma respiration et je tourne ma tête vers les soprani. Les cent choristes… oui, pas les quatre-vingt dix neuf… les cent sont debout et saluent.
Sur le coup, je ne me dis même pas que ses deux copines derrière, elles doivent galérer comme des folles pour la maintenir debout, pour lui offrir le plaisir de saluer sur ses deux jambes. Non… je crie : woooooouw ! woooooouw ! ! ! Bravo maman !
Ma sœur… elle dit même rien tellement elle angoisse d’exploser en larmes de fierté. Elle frappe dans ses mains à s’ensanglanter les paumes. Je me dis... con que les deux frangins soient pas là ce soir. Et elle me dit... rôôô, c'est quand même dommage que Jeanj et Tit's aient loupé ça, tu trouves pas ?
Bon, bref… le public met quand même les voiles à un moment. Nous, on l’attend avec ma frangine. Papa est allé la chercher… dans les coulisses.
Alors ? Ca vous a plu ? Ah… j’vous dis… j’en peux plus… ça vous a plu ?
Et nous on dit… ouais, ouais. Ca nous a plu.
#2
Posted 19 June 2006 - 09:03 PM
Très nature mais qui pourtant ne manque pas de finesse.
J'aime bien.
Bon j'avais cru que la mère était restée assise pour une raison particulière.
Mais apparemment non ...
Harry
#3
Posted 19 June 2006 - 09:10 PM
merci d'être passé sur ce texte Harry. Je vois que tu domines tes pulsions critiques... j'en suis heureuse. Je crois qu'on communique mieux dans ces conditions, non ?
Félice.
#4
Posted 19 June 2006 - 09:19 PM
Oui autant pour moi, c'est assez clair en fait.
C'est le "évidemment" de la première ligne qui m'a enduit d'erreur.
En général on dit "évidemment" pour des choses justement pas si évidentes !
Certes oui, mais j'ose encore croire que je ne mors jamais sans quelque raison.
#5
Posted 19 June 2006 - 09:32 PM
dans sa première partie
et puis,
la (.....................)
casse le rythme, je ne m'y retrouve plus tout à fait
une autre écriture, moins "perlée" me semble-t-il.
Enfin, c'est mon impression, singulière, étrangère à ce qui est vécu...
donc seulement le témoignage d'une sensation.
Amitiés
Ambréance
#6
Posted 19 June 2006 - 09:35 PM
Se défendre... et encore...
Félice.
#7
Posted 19 June 2006 - 09:46 PM
si si Félice, mais enfin euh... qu'avec son amoureuse
#8
Posted 19 June 2006 - 09:51 PM
ton intervention est salutaire. Tu as toujours de bons arguments.
Fé... rentrer Trezeguet Rayray (mais pas trois minutes avant la fin...) ! ! !
#9
Posted 19 June 2006 - 10:10 PM
Voilà pourquoi tu m'as dit que tu pourrais en parler des heures!
eh bien parle encore et encore
Moi j'aime t'écouter
Charlie
#10
Posted 19 June 2006 - 10:18 PM
oui, hein, tu vois... j'ai vraiment résumé !
Merci.
Félice.
#11
Posted 19 June 2006 - 10:22 PM
Vas-y
Fé zen tout un poème!
Heinrich
#12
Posted 20 June 2006 - 07:17 AM
Vas-y
Fé zen tout un poème!
Heinrich
ben là... un poème...
bon un long poème alors.
Wolfram.
#13
Posted 20 June 2006 - 09:46 AM
Je me secoue un peu et j'entend de nouveau les bruits qui m'entourent.
Je dis bruits car, exeptionnellement je n'ai pas mis de musique ce matin.
Bon ce que je dis n'a aucun intérêt, mais c'est pour gagner du temps sur l'émotion.
C'est un beau moment d'unité, de communauté, de communion.
Et merci de nous le faire partager.
Artemisia
#14
Posted 20 June 2006 - 10:38 AM
Si, si, ce que tu dis a un intérêt. Alors comme ça, tu n'as pas mis de musique ce matin ? Même pas un petit Purcell ou un un Joan Baez ? Non ? Mais tu as raison, la musique sans silence, c'est du bruit. De fait.
Un moment de communion... je ne sais pas. En tout cas, c'est un texte. Et c'est donc fait pour être partagé.
Merci d'y être réceptive. Je continue à suivre mon fil récemment trouvé (quoi que sur ce texte... j'ai un peu dérivé avec le courant de l'émotion).
Bon... c'est un texte, quoi. On pourrait dire un texte de bac à sable. Encore et toujours.
Jaguar.
#15
Posted 20 June 2006 - 10:41 AM
Charlie
#16
Posted 20 June 2006 - 11:00 AM
Un grand moment de tendresse, d'éternité.
Tu écris divinement bien en prose. Continue dans cette voix ...pardon, dans cette voie
(Avec Gaston, vous faîtes un concours...?
Sérieusement, il y a de plus en plus de TLPsiens qui se mettent à la prose, et franchement, le niveau monte, monte...)
Une bise
Christophe
#17
Posted 20 June 2006 - 11:03 AM
Et on voit cette femme malgré le poids des années trouver la force de se tenir debout.
amitiés
bohémia
#18
Posted 20 June 2006 - 11:04 AM
Les courbatures abdominales guettent...
Jaguar.
#19
Posted 20 June 2006 - 11:07 AM
Matic...
#20
Posted 20 June 2006 - 11:09 AM
#21
Posted 20 June 2006 - 11:22 AM
se tenir debout malgré tout !
Artemisia
#22
Posted 20 June 2006 - 11:30 AM
Humpf
Féliceeeeeeeeeeeuh, suis restée devant ton texte, superbe d'interprétation, écrit magnifique, tu nous donnes cette impression d'y être vraiment, un film, heu.. un peu plus court hein, mais le truc est là, on y est.
Kissssssssssssssss
#23
Posted 20 June 2006 - 02:24 PM
Fé... d'hiver.
#24
Posted 20 June 2006 - 02:47 PM
Ma maladie c'est la rime
Mais plus j'avançais dans ma lecture, plus j'étais captivé. J'avais vraiment l'impression d'être dans cette petite église et d'entendre tous les sons et surtout la musique.
Une chose est sûre, c'est qu'après cette lecture je regarderai un texte en prose d'une autre façon.
Un nouvel adepte de la prose mais toujours un petit peu de rime
Sincèrement, j'ai beaucoup aimé et très touché par le sujet.
Trop peut-être pour preuve cette longue réponse qui je l'espère ne me fera pas passé pour un rimailleur de deuxième zone.
Félicitations.
#25
Posted 20 June 2006 - 03:14 PM
Oui, le corps est bien plus faillible que l'esprit, n'est-ce pas ? Mais moi, je vois toujours de la lumière partout. C'est comme ça. Merci de l'avoir lu avec toute ta maturité.
Elysa,
Toi aussi, tu y étais ? Aaaaah... il me semblait bien t'avoir aperçue au troisème rang à droite... du côté des timbales et des contrebasses...
Merci de ton com si enthousiaste.
Félice.
#26
Posted 20 June 2006 - 05:45 PM
"après cette lecture je regarderai un texte en prose d'une autre façon"... grand Dieu... quelle rencontre as-tu eu là avec la prose ? Je suis très touchée... et en même temps... le texte n'est pas l'auteur. Tout l'honneur en revient aux mots.
Humblement, merci.
Félice.
#27
Posted 20 June 2006 - 07:02 PM
avant d'être en contact avec le plaisir de savoir que je pourrais revenir et goûter encore et encore...
sans rire
henri
#28
Posted 20 June 2006 - 07:55 PM
C'est de la tendresse.....
J'achète un billet.
#29
Posted 20 June 2006 - 09:18 PM
Un discret merci pour votre passage et vos mots, cher. Oui, quel plaisir d'écrie, n'est-ce pas ? C'est la seule chose qui me vient à l'esprit là, tout de suite.
Belvis,
Je te l'offre, le billet. Ton com le vaut un millions de fois. Evidemment.
Félice.
#30
Posted 21 June 2006 - 08:32 AM
oui, mais c'est pas drole, je suis obligé de la laisser gagner... je me fais toujours avoir par les espionnes
(sinon je plaisante, je plaisante, mais il est évident que le texte est bien. je suis un adepte du "qui ne dit mot consent", c'est pour ça que j'ai tant de copines)
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